in camera présente « The unknown » (2016 – 2018), la dernière série d’Andrea Torres Balaguer. Des grands formats aux couleurs mates. Andrea Torres Balaguer, née en 1990 à Barcelone, soumet le portrait à la question de l’identité et s’impose face à l’objectif.
Andrea Torres Balaguer a étudié les Beaux-Arts à Barcelone, mais pas la photographie. C’est donc en amateur qu’elle commence à prendre des photos, inspirée par le surréalisme et Magritte, auquel s’ajoute un vif intérêt pour les limites entre la conscience et l’inconscient. Son idée : « Créer des scènes qui aient l’air vrai, mais comme dans un rêve, afin de les rendre un peu dérangeantes ». Ses premières séries s’enracinent donc autour d’un certain trouble, pas dans l’image même, plutôt dans les associations d’objets ou les situations, parfois rituelles, que traversent sans bruit ses personnages. Ils donnent l’impression d’hésiter entre deux temporalités, passé ou futur, et d’être complètement absorbé par leur propre rôle, à la limite de l’envoûtement.
Illustration parfaite de ce décalage onirique avec Hypnagogia (2013) à la beauté hiératique, ou Moon (2015-16), mascarade lunaire où des inconnues aux cheveux longs, saisies de dos ou tête penchée, transmettent leur féminité, paisiblement.
« Je recherche un mystère très particulier, explique Andrea Torres Balaguer, une ambiguïté qui transcende la photographie, quelque chose qui englobe le spectateur, qui le capture. J’aime donner un nouveau sens aux choses. Mon travail a toujours été lié à la féminité et au symbolisme. Je ressens une interprétation de mon identité dans les personnages féminins, ils ne sont pas moi, ils ont quelque chose de moi… ».
Pour The Unknown, sa dernière série réalisée en 2017 et 2018, l’artiste espagnole a réfléchi sur « le concept d’identité et l’importance de l’identité lorsqu’on évoque le portrait ». Elle est allée plus loin en se mettant elle-même en scène. Pourquoi ? Parce qu’elle trouvait « très agressif » cette absence de visage masqué par un trait de pinceau, peint directement sur l’image : « Non seulement je vole l’identité du modèle, mais je mets le coup de pinceau qui dissimule le visage. C’est pourquoi j’ai décidé de faire des autoportraits. Et, du coup, il y a ce nouveau sens : c’est moi qui me déprend de mon identité, et je deviens ce que le spectateur veut que je devienne. Dès lors, j’ai de multiples identités nouvelles, sauf mon identité originale ».
Ce sont des portraits éloquents. Des autoportraits souverains qui expriment tout à la fois force et retenue avec beaucoup de raffinement. On peut y lire aussi une forme de résistance au narcissisme classique de l’autoportrait, comme s’il y avait une défaillance à se regarder sans rien faire. D’où ce coup de pinceau sidérant, qui coupe la tête d’une manière énergique, révolutionnaire, déplacée. Un trait d’union calligraphié entre peinture et photographie.
Andrea Torres Balaguer pourrait être l’une des héritières de Duane Michals qu’elle aime « passionnément ». Comme lui, elle a le don de déplacer les anges et les montagnes, et de provoquer l’ondulation des corps. Une écriture stimulante.
Brigitte Ollier, avril 2018