En une quinzaine de pièces uniques aux grains multicolores, Sissi Farassat, née à Téhéran, montre comment la photographie est aussi un art du toucher.
Du pointu : ciseaux, épingles, aiguilles. De la couleur : perles aux grains chamarrés, paillettes, fils. Et beaucoup de patience… Sissi Farassat change les règles de la photographie, qu’elle s’approprie en transformant chaque tirage en une pièce unique, comme si elle voulait proposer un autre rituel sans pour autant s’affranchir de sa propre identité. En effet, cette artiste iranienne, née le 16 mai 1969 à Téhéran, et qui vit à Vienne (Autriche) depuis 1978, coud, brode et pique avec ferveur, dans le souvenir, a-t-elle confiée au Harper’s Bazaar, de sa « merveilleuse enfance en Iran dans la ville d’Ispahan » quand son père lui « racontait l’histoire de femmes qui travaillaient sur un tapis toute leur vie ».
C’est cette mémoire ornementale et cet héritage culturel, enrichis de l’enseignement de Friedl Kubelka, dans son école, à Vienne, en 1993-94, qui a encouragé Sissi Farassat à imposer son originalité au médium. Et une autre temporalité, étonnante dans un monde saisi d’instantanéité, puisqu’il lui faut de longues semaines pour finaliser chaque pièce, haute voltige, haute couture.
Silhouette découpée en gros plan, elle s’attribue parfois le rôle principal, entre désinvolture et audace. Ainsi prend-elle frontalement un air provocateur dans Me, Me, Always Me (2004) ; ou, pose-t-elle pudiquement de dos, dans Me, In Front of the Window (2020), nuages de filaments emmêlés sur le papier comme une langue de signes inconnue. Des autoportraits, donc, ou l’apparition d’amies proches, Farassat se plaît à brouiller les pistes, laissant à chacun le soin de démêler les fils. Il y a un certain mystère car le contexte est souvent gommé, comme si cette admiratrice de Nan Goldin cherchait à effacer toute trace du réel.
D’où la puissance de la couleur, du bleu, du vert, du rouge, qui résonne comme des battements de cœur ou des orages célestes. Il y a aussi beaucoup de cercles lumineux semblables à des nénuphars multicolores qui rebondissent dans le cadre et viennent animer ces surfaces devenues sensibles. On a très envie de les toucher et c’est ce que révèle finalement Sissi Farassat, les possibilités haptiques de la photographie.
Est-il question d’embellir la photographie ? Peut-être.
Est-il question de la styliser ? On pourrait le penser, Sissi Farassat a été un temps photographe de mode.
Mais plus que tout, pour cette artiste singulière, il s’agit de renverser les codes de l’envers et de l’endroit, de ce qui est caché ou montré, de ce qui est fugace ou noué. La photo, tout à la fois symbole de la disparition et de la renaissance.
Brigitte Ollier, juillet 2021