Trois ans après The Combat Zone, la galerie in camera présente Beautiful America de Jerry Berndt. En une vingtaine de tirages en noir et blanc, renaît l’Amérique des années Vietnam et de Bob Dylan.
Il y a de la fermeté chez Jerry Berndt, né en 1943 à Milwaukee (Wisconsin) et mort en 2013 à Paris (France), laquelle donne de la clarté à sa photographie. C’est une lumière indirecte, assez austère, qui structure et enracine son sujet d’une manière extrêmement lucide.
Cette maîtrise du réel est l’un des atouts de Jerry Berndt. Elle lui permet de rester à distance, ou plutôt, car il ne s’agit pas ici d’un voyeur qui se protégerait derrière son objectif, elle lui évite toute tentation inadaptée à la situation. Pas de bouclier de larmes. Ou de cambriolage des âmes. Même lorsqu’il est à Haïti (1986-1991), il ne cherche pas à légitimer sa présence par des effets dramatiques.
Jerry Berndt est un veilleur. Il n’attend pas l’instant décisif, mais quelque chose de plus imperceptible. Peut-être ce moment de flottement, juste avant le tumulte. Tout jeune étudiant, il s’est battu pour une certaine idée de l’Amérique. « Profondément américain », il a aimé l’Europe, et Paris, où il s’installe en 1998, même s’il s’y sentait comme « un réfugié culturel ».
Cet autodidacte s’est engagé dans la photographie avec ferveur, loin du droit chemin imaginé par les ténors de l’argentique. En marge. Off America. On se souvient de sa série The Combat Zone, du nom du quartier chaud de Boston (Massachusetts). Sexe, solitude, ségrégation. Et ce désir d’être en vie à n’importe quel prix. Comme les personnages d’un film de John Cassavetes, se saoulant à mort et renaissant aussitôt, entre boîtes de nuit, fous- rires et dialogues chuchotés. L’amour improvisé sur le trottoir.
Les tirages aujourd’hui présentés par la galerie in camera proviennent de cette série faite à Boston, de 1967 à 1970, et de son long travail dans son pays natal, Beautiful America. Un titre teinté d’une douce ironie, qui révèle la cartographie spacieuse de Jerry Berndt (de New York à Los Angeles), sa résistance à la banalité, son esprit pacifique et le soin avec lequel il éditait ses photographies. Il avait aussi le goût du laboratoire, comme le souligne Marie-Pascale Lescot, sa compagne : « Je crois que c’est l’endroit où il trouvait le point d’équilibre : à l’abri du monde extérieur et de son bavardage ; le noir, le rouge, le silence en compagnie de ses amis Coltrane, BB King, Monk et Parker et ses archives qui remontaient lentement à la surface. La chambre magique, savante, absolument familière. »
Attention à l’ours, répétait Emma, la grand-mère de Jerry, tu peux le manger – ou il peut te manger. Il y a toujours ce défi dans les photographies de Jerry Berndt. Plutôt que d’être dévoré tout cru, regarde devant toi. Pas question de baisser les yeux, il faut faire face. Un lapin tout sourire au carrefour. Un fauteuil abandonné sur l’herbe, lourd de mille empreintes. Un homme en costume, seul, comme après le déluge. À chaque coup, ce faux chasseur d’ours et vrai photographe dirige sa partition.
Composée entre 1960 et 1980, Beautiful America ne révèle pas les recoins anecdotiques d’un pays si légendaire qu’il paraît être un labyrinthe de clichés. C’est une approche à hauteur d’homme. Des éclats de solitude. Le chant continu de la majorité silencieuse. Avec Beautiful America, Jerry Berndt quitte le monde clos des Bars, et extériorise sa vision d’une nation d’immigrants .
Les photographies de Jerry Berndt font partie des collections du Museum of Modern Art (New York), de l’International Center of Photography (New York), du Museum of Fine Arts (Boston), de la Bibliothèque Nationale (Paris) et d’autres institutions.
Jerry Berndt a reçu plusieurs bourses et remporté de nombreux prix pour la qualité de son travail. Il a enseigné la photographie à l’Art Institute de Boston et à l’Université du Massachusetts.
En 2010, le Museum of Photographic Arts de San Diego a présenté une grande exposition sur le thème de la photo de rue, « Streetwise », qui rassemblait les images de Robert Frank, Lee Friedlander, Danny Lyon, Bruce Davidson, Diane Arbus et Jerry Berndt.