Prolongeant sa troublante série The Unknown, Andrea Torres Balaguer, née en 1990 à Barcelone, imagine Hivernacle en format XXL. Au-delà de la métaphore florale, un tête-à-tête entre l’être humain « et sa beauté contemplative. »
Parce qu’elle est à l’aise avec la répétition, gage de réflexion, Andrea Torres Balaguer a poursuivi The Unknown, une série formidable imaginée en 2017. « Pour moi, chaque nouvelle image comporte un changement subtil et constitue un pas en avant », dit-elle à propos de ces autoportraits si singuliers, mise en abyme assumée de son identité originale, où il est question de s’oublier pour mieux renaître à l’infini. On se souvient comment, d’un trait de pinceau souverain, l’artiste espagnole voile son visage et y imprime une respiration invisible, un souffle lumineux, une calligraphie rebelle à toute interprétation.
Suite de ce jeu d’écritures avec Hivernacle, sa dernière série au titre évocateur, Serre. Elle l’a composée après avoir découvert Karl Blossfeldt (1865-1932) et son herbier grandeur nature, inventaire d’un monde microscopique devenu fabuleux. Étonnement de la portraitiste : « J’ai eu l’impression que Blossfeldt représentait les fleurs comme des personnages, ce qui est le contraire de ce que je fais, c’est-à-dire représenter quelqu’un susceptible d’évoquer une nature morte. » Un défi donc pour Andrea Torres Balaguer, voyant aussi dans son processus de travail en solitaire une équivalence à la culture en serres : « Je prends des photos chez moi, calmement, au cœur d’un environnement confortable et protecteur, comme dans une serre où les plantes et les fleurs poussent dans des conditions optimales. »
Hivernacle, récolte d’une féminité prodigue, surprend par sa rigueur contemplative et son éclipse de couleurs. Comme à son habitude, Andrea Torres Balaguer a choisi soigneusement les vêtements, surtout leurs volumes, en s’approchant au plus près d’une forme sculptée. « Moins d’éléments, plus de puissance », note-t-elle joyeusement. Sans oublier le coup de pinceau magique, à la fois effacement et apparition, une signature inimitable : « C’est un moment de tension qui peut changer une pièce de façon spectaculaire et qui apportera le mouvement final à la photographie. »
Ce geste réfléchi donne un supplément de noblesse à Hivernacle, recueil floral empli de figures féminines qui, de loin, paraissent de marbre. Comme étrangères aux passions terrestres.
Brigitte Ollier