Thomas Vandenberghe, Alexandra Catiere

Alexandra Catiere / Thomas Vandenberghe

09 avril - 31 mai 2025

 | Thomas Vandenberghe

 | Thomas Vandenberghe

 | Thomas Vandenberghe

 | Alexandra Catiere

 | Alexandra Catiere

 | Alexandra Catiere

Alexandra Catiere / Thomas Vandenberghe

En ce printemps 2025, la galerie in camera présente une sélection des travaux d’Alexandra Catiere, biélorusse, et de Thomas Vandenberghe, belge flamand. Deux artistes aux univers très distincts mais qui ont en commun leur passion pour la bichromie et le grand soin qu’ils portent à leurs tirages.

L’inspiration florale forme un trait d’union entre ces deux artistes. Rebattu dans les natures mortes, les parures et la décoration, ce motif souriant prend du relief lorsqu’il s’exprime en noir et blanc. Ces fleurs à présent épurées, figées dans la vie mystérieuse des signes, délivrent plus distinctement leurs messages : la brièveté du séjour sur terre, l’éternel retour de la sève, le désir, le don gratuit, la perfection formelle…

Les fleurs d’Alexandra Catiere ressemblent parfois à des bijoux, poussés sur les arbres fruitiers ou fixés dans les cheveux des jeunes filles. C’est un tout autre bouquet qu’elle expose ici : ébouriffé, en voie de se flétrir mais portant toujours beau, il respire l’espoir. L’image provient d’une maison de retraite, où l’artiste effectuait un stage photographique… Prise à la chambre, et tirée après superposition de plusieurs négatifs, elle a été approuvée sur place, par la dame qui s’occupait du fleurissement quotidien de ce havre. « Pour lui faire plaisir, explique Alexandra Catiere, j’ai coloré deux tirages, l’un en rouge et l’autre en cyan. » Sur ce dernier, deux fleurs emmêlées semblent surgies d’un bal costumé et font les gros yeux au spectateur, étamines et pistil singeant la pupille et l’iris.
 
Au bout des fleurs, il y a les fruits. Chez Alexandra Catiere, l’amour des pommes a un goût d’enfance : « c’était le seul fruit disponible en Biélorussie. » Très jeune, elle en réalise une série d’images inspirée par Giorgio Morandi. Auprès d’Irving Penn, dont elle est devenue l’assistante, elle apprend à les recouvrir de peinture pour mieux en capter l’essence. Fruit de longues heures dans la chambre noire, un tirage unique présente cinq pommes blanches et une noire dans un agencement faussement désinvolte. Quant aux cerises, elles sont pour Alexandra Catiere le « fruit défendu » : « elles étaient très chères, leur saison était brève ». Dodues, léchées, lançant hardiment vers le ciel leurs queues fines, les cerises blanches exposées ici ont été photographiées à la chambre aux Etats-Unis.
 
D’autres images d’Alexandra Catiere illustrent sur le mode slave, à la fois triste et gai, un amour de la vie presque panthéiste, où les plantes et les êtres humains s’associent à la voûte étoilée. Vision gothique d’une forêt nocturne, dépouillée de ses feuilles, où les branches nues griffent vainement l’obscurité.  Promeneurs à Moscou, dans un parc enneigé. Produits par la superposition de deux négatifs, dont l’artiste varie adroitement les densités, les personnages en scène semblent parfois s’effacer, comme pris dans un blizzard de neige. L’essence des choses se voit mieux de loin, ce qui se cache a plus de prix. Une femme nue au visage invisible protège sa nudité. Une autre se courbe contre le vent, retenant son chapeau, masse de vêtements dont émergent ses mains.       

Thomas Vandenberghe privilégie les images d’émotion, qu’il délivre souvent en tout petits formats. Depuis toujours, il photographie les fleurs : roses, orchidées ou simples fleurs des champs. A ceux que ce tropisme étonne, il répond qu’il est universel : « Qui n’aime pas les fleurs ? » Né et vivant à Gand, ville d’art et d’artistes, ce tireur de formation capture ses idoles avec un petit appareil, l’essentiel de son travail s’effectuant dans la chambre noire : son plaisir est d’y travailler et retravailler ses tirages, en modulant les densités, juxtaposant les négatifs, brûlant, calligraphiant, déchirant les épreuves pour en recoller les fragments dans un feu d’artifice visuel. De cette alchimie ludique émerge un puzzle d’éclats de vie qui sont, selon l’artiste, autant « d’instantanés de vérité ». Vestiges de temporalités différentes, ils ont été réassortis par la mémoire, pour faire surgir la beauté.
 
Confusions fécondes : Thomas Vandenberghe transforme en nature morte le corps féminin et photographie les fleurs en portraitiste. La jupe plissée moulant un fessier pudique évoque la tulipe inclinée sur sa tige. Un buste en chemisier fait songer à une fleur non-éclose. Nouvelle Lady Godiva, une femme enfouit sa poitrine dans les branches d’un saule pleureur : collé sur son visage, un fragment de la planche-contact atteste la réalité de la photo. Depuis Richard Feynman, on sait que la réalité est la somme de tous les possibles. Les images sérielles de Vandenberghe explorent ce monde buissonnant où la répétition n’est jamais identique. Evoquant un manuel d’ombres chinoises, une main varie le même geste, avec d’infimes écarts de posture et sous des éclairages différents. Neuf images d’un même mêli-mêlo de fleurs, photographié de près dans un dégradé d’éclairages, semblent refléter les humeurs de la plante. Sur une autre image, elles affichent, irisées de reflets, une splendeur presque agressive.

Jacques Brunel,
Mars 2025