Pour sa deuxième exposition à la galerie in camera, Bertien van Manen présente une vingtaine de tirages C-print extraits de Beyond Maps and Atlases, titre emprunté à un poème de l’Irlandais Seamus Heaney, Prix Nobel de littérature.
Aucun fantasme ni pathos, pas de tentation symbolique, Bertien van Manen prend le monde tel qu’il est. Depuis ses premiers essais publiés, ainsi A Hundred Summers, A Hundred Winters, cette photographe néerlandaise a choisi de s’impliquer dans ses sujets, en toute liberté. Il ne s’agit pas de tenir une quelconque posture, celle du témoin privilégié, par exemple, plutôt d’exprimer en leur entièreté la présence de ceux qu’elle regarde. De leur donner vie, à bon escient.
Tout Bertien van Manen est là, dans ce rituel du passage à la lumière, révélation assumée, et du refus de l’instantanéité comme seul dénouement possible. Elle suit cette ligne droite sans lassitude, ce qui lui permet, tels ces ponts qui franchissent parfois des fleuves turbulents, d’avancer vers les autres et de comprendre, par ricochet, qui elle est. Question de connaissance réciproque, ou de partage des connaissances, si l’on préfère. Sa lucidité est un don. Qui accorde aux autres, Russes, Chinois, ou mineurs des Appalaches, l’un de ses documents les plus remarqués, le droit d’exister simplement.
Son atout : le temps, bien précieux, cultivé selon une certaine philosophie, à l’image de sa série Let’s sit down before we go, présentée à la galerie à l’automne 2011. On y découvrait, aux lisières de la fiction, des inconnus au quotidien, comme cette adolescente surgissant d’un fond bleu, le lac Baïkal, avec une dose d’énergie qui remplissait le cadre et nos mémoires.
Son dernier travail, Beyond Maps and Atlases, a été réalisé entre 2013 et 2015 en Irlande, « au bord de l’Europe, dit-elle, avec vue sur l’Atlantique vaste et lointaine ». Nous imaginons à juste titre le vent, la pluie, « des éléments éphémères et insaisissables », note la photographe, écho discret à la raison profonde de cette traversée géographique. Bertien van Manen a perdu son mari. Deuil privé, mais si solidaire de sa photographie qu’elle se doit de n’en rien cacher : « C’est vrai, à un moment, j’ai ressenti la nécessité de le dire, il devenait difficile de nier qu’au fond, inconsciemment, j’avais cherché ce thème de la mort. Mais j’ai préféré la couleur au noir et blanc, lequel aurait été trop dramatique ».
L’Irlande, donc, comme un espace grand ouvert où elle ne sait « quoi faire ». « J’étais guidée par un sentiment et une quête, un désir de sens là où il n’y avait que mythes et légendes ». S’aventurant sur ce paysage en mouvement perpétuel, Bertien van Manen plonge au-delà de l’horizon, au plus près des étoiles. Point de départ : une route cernée de jaune qu’elle suit, s’abandonnant à la nuit, à son aura mystérieuse, à ses légendes celtiques. Plus tard, il y aura des lueurs et quelques songes offerts aux esprits alchimiques. Pêle-mêle, un pub fantomatique, et même un night-club où une forêt de bras s’élève dans l’air, des oiseaux sur un nuage, un agneau sacrifié, le chant réconfortant d’une rivière, un cheval surpris par une ombre portée et ces deux hommes marchant sur une plage immense, au sable si pâle, et qui finiront peut-être par se croiser…
Pas d’effet-miroir, avec Beyond Maps and Atlases, Bertien van Manen se joue de la contemplation. Et ne s’éloigne pas de son thème favori, la photographie comme une transition rêvée.
Brigitte Ollier. Mars 2016