Pour sa troisième exposition à la galerie in camera, Bertien van Manen présente une vingtaine de tirages, tous extraits de ses aventures silencieuses autour d’un monde peuplé d’humains.
« Un intérêt intense pour les autres ». C’est ainsi que Bertien van Manen résume ce qui relie entre elles l’ensemble de ses photographies. Et, de fait, depuis ses premiers modèles (ses enfants, son mari), elle n’a pas cessé, dans « son besoin urgent de découvrir le monde », d’accorder de l’attention à ceux qu’elle a rencontrés aux États-Unis, en Sibérie, en Italie, en Hongrie ou en Chine. Il ne s’agit pas, pour elle, de témoigner, mais de faire apparaître, ici et là, à travers une intimité toujours maîtrisée, des moments à la fois banals et rares. C’est là, dans ce refus de figer l’instant et de le rendre extraordinaire, que se situe la photographe néerlandaise, dont les scènes, par leur clarté, révèlent le quotidien des hommes.
Elle tient compagnie à des inconnus, sans chercher à les surprendre, encore moins à être indiscrète : « C’est une question de respect. Il y a une ligne étroite entre laquelle il faut naviguer, entre le respect pour le sujet et celui pour le travail. Si je choisis le travail, je me sens coupable vis-à-vis de mon sujet. Si c’est le sujet qui gagne, je me sens frustrée et déçue envers moi-même. » Cet équilibre est le signe de reconnaissance de cette femme aventureuse et amicale, qui refuse toute tension dramatique ou tout jeu de miroir. Elle prend son temps, guidée par « une énorme curiosité » ; elle prend le monde tel qu’il est, non tel qu’il devrait être. Aucune duplicité dans sa vision, aucun chantage au vécu.
Parce qu’elle ne se soumet à aucune règle à même de normaliser son regard, Bertien van Manen avance en toute liberté, utilisant le noir & blanc, ou la couleur, c’est selon. Ses photographies vivent leur vie, indépendamment de celle qui leur a donné vie. Elles ont cette qualité rare, elles sont silencieuses, comme s’il y avait eu, entre photographié et photographiant, un accord tacite. Ses personnages, comme ses paysages, nous touchent ; ils nous paraissent parfois très proches, comme s’ils sortaient de la mémoire de notre album de famille.
On peut aussi les rejoindre dans les livres de Bertien van Manen, de Easter & Oak Trees à I Will Be Wolf. Elle ne craint pas le passé, elle aime « plonger dans ses archives ». Sa dernière exposition, ce printemps au Stedelijk Museum à Amsterdam, était titrée Au-delà de l’image. Cela veut dire, dit-elle, que « c’est plus qu’une belle image ». C’est juste. Bertien van Manen est d’une grande exigence. Sa photographie ne peut se réduire à une gestion esthétique des autres. Question d’éthique.
Brigitte Ollier, septembre 2020