En une quinzaine de tirages, Claudine Doury retrace son odyssée sibérienne au long du fleuve Amour, entre 1991 et 2018, enregistrant le passage du temps comme une trace silencieuse. « Amour » est aussi un livre édité par Chose Commune.
Claudine Doury n’appartient pas à un courant documentaire, ce qui lui permet de s’inscrire dans la temporalité qu’elle a choisie, sans se soucier d’éventuels faux raccords avec l’histoire. Ou même la géographie. C’est ainsi que sa découverte du fleuve Amour, à l’été 1991, est pur hasard. Un nom délicieusement familier dont elle suit la ligne bleue sur un atlas, des plateaux de la Mongolie au détroit de Tatarie, sans se douter le moins du monde qu’elle va progressivement succomber à ses charmes. Le grand Amour, donc. Ou trente années d’aventures humaines autour du plus long fleuve sibérien, pas loin de 4400 km.
« Sombre et un peu démesuré ». Telle fut pourtant sa première impression face à l’Amour, lors de ce premier voyage au « bout du monde », dans cet Extrême-Orient russe traversé par le Transsibérien et les souvenirs fiévreux de Blaise Cendrars. Que cherche Claudine Doury, native des bords de Loire, « au milieu de l’infini » ? Tout.
Ce sera son premier « vrai » travail personnel, nourri à la fois d’un désir d’émancipation visuelle et d’une curiosité intense, il y a alors peu d’images sur le grand Nord et les peuples de Sibérie, cousins des Amérindiens. Atout : elle parle russe, et trouve « la Russie romanesque. C’est une autre planète, mais qui m’est familière, j’en connais les codes. Je m’y sens bien, comme à la maison ». D’où son regard dénué d’exotisme car il ne s’agit pas d’extraire du sensationnel, mais, au contraire, de montrer comment « ceux qui vivent là lui sont proches, la Russie n’est pas qu’un théâtre ». Elle raconte, toujours enthousiaste, ses rencontres avec Margarita à Nergen, Kostia et Danji à Ous-Gour, un homme jouant de l’accordéon, le quotidien des récoltes et la taïga, le passage du bac à Khabarovsk et l’été à Boulava, quand les jeunes se réchauffent le cœur autour d’un feu de bois. Il y a aussi quelques portraits posés, comme Amelia et Kostia, et leur beauté, à peine éclose, n’est qu’un murmure.
Jamais de flash, mais la lumière naturelle, rehaussée de couleurs « monochromes, c’est-à-dire sourdes, douces, je n’aime pas l’herbe trop verte ». Elle voudrait que le passage du temps s’enregistre naturellement dans chaque photographie, comme une trace silencieuse, non comme un cri. Elle sait que parfois le temps se télescope, ou avec l’actualité, ou avec les méandres de la conquête de l’Est, c’est pourquoi elle ne cesse de revenir sur ce territoire où elle se sent « entre réalité et imaginaire ».
Pour preuve, l’image au miroir, hommage à Andreï Tarkovski, qui paraît être tantôt un bouclier, tantôt l’entrée d’un passage secret, menant peut-être à l’enfance, ou à cette mémoire affective qui lie désormais Claudine Doury à la Russie.
Brigitte Ollier, février 2020